Confier sa vie n’est jamais un geste anodin. Il faut du temps, de la confiance et la certitude d’être entendu avec attention et respect. Les biographies que j’écris naissent de confidences et d’histoires intimes, offertes par ceux qui me les confient. Par respect pour leur vie, je ne partage pas ici de passages trop personnels. J’ai choisi de présenter des extraits plus universels, qui disent néanmoins l’essentiel : la manière dont une vie se raconte.

J’espère que ces fragments vous donneront un aperçu juste et sensible de mon travail.

Les voix qui nous précèdent

« La raison pour laquelle je fais ce témoignage, c’est avant tout pour transmettre et pour partager la force d’aller de l’avant, même quand tout semble difficile.

Cette force me vient sans doute de ma famille. Quand mes parents ont quitté l’Europe pour le Mexique, c’était en partie à cause de la guerre, mais aussi par choix. Ils auraient pu rester mais ils ont eu cette conviction qu’il existait quelque chose de mieux ailleurs. Une vie différente, plus digne, plus libre. J’ai vu en eux cette force de partir, de chercher un ailleurs, une vie nouvelle, et c’est ce courage-là que je veux transmettre à mes petits-enfants. Que mes descendants sachent qu’ils viennent d’une lignée qui a fait des choix parfois difficiles, mais qui n’a jamais cessé d’avancer.

Il ne faut pas avoir peur d’essayer se battre pour ce que l’on veut, pour ce que l’on est. C’est une leçon que mes parents m’ont transmise sans même en avoir conscience. J’ai retrouvé une lettre de ma mère, écrite sur le bateau en traversant l’Atlantique, une lettre qui témoigne de ce courage silencieux, de cette force tranquille qu’elle portait en elle, traversant les épreuves aux côtés de mon père. Ma mère, dont la vie n’a pas été « facile », a su tenir bon, même dans les moments difficiles. Elle m’a appris la douceur, la disponibilité. Mon père, quant à lui, m’a inculqué la force de ne jamais me décourager, même quand tout semble perdu.

Ces valeurs, ce courage, je les ai hérités d’eux, et c’est cet héritage-là que je souhaite passer à mon tour ».

Derrière chaque existence, il y a une lignée, des choix, des gestes de courage. Écrire une vie, c’est aussi reconnaître ce que l’on doit à ceux qui nous ont précédés.

Les gestes du lendemain

« La période de ma vie que je vais évoquer sera sans doute une histoire un peu triste. J’aurais souhaité qu’il en soit autrement. Je porterais, j’en suis certain, sur ces quelques mois, dans quelques années, un regard plus tranquille, mais à l’heure où je parle, les mots qui me viendront ne seront sans doute pas tout à fait ceux de la joie et de la légèreté.

Ce n’est pourtant ni une tragédie, ni un drame. C’est l’histoire simple d’une simple séparation, comme il y en a tant. Et c’est sans doute parce qu’elles sont si nombreuses qu’on finit par les nommer injustement ainsi. Simples, on le sait bien, elles ne le sont jamais. Elles provoquent changements, turbulences et remous. Peines et chagrins. La mienne n’est ni moins ni plus extraordinaire que les autres. C’est le moment que je traverse, comme certains l’ont fait avant moi et d’autres le feront après ».

« Ensuite, on apprend vite à être seul à prendre des décisions, toutes les décisions, trouver un appartement, par exemple, le visiter et décider seul de le prendre. Les événements commencent à s’accélérer, l’appartement est là. On le visite, on signe le bail, on a les clés. On y entre mais on n’est pas encore chez soi. Au début, un appartement, c’est comme une

sorte de dépôt. Alors on commande ce qu’il faut, un frigidaire, une machine à laver et on attend que ce soit livré, puis on installe.

Quand tout est acheté et que tout est fait, il y a la première soirée, celle où le mouvement s’arrête. On peut se dire « On y est ». On regarde autour de soi. Et là, il n’y a plus personne. Toi, seul. Ce n’est pas si grave. Ce n’est que le début. Alors, on fait connaissance avec son quartier, son ascenseur, son escalier, on organise le nouvel itinéraire du matin. On cherche ses marques, on espère trouver son chemin ».

Cet extrait aborde un moment intime – une séparation – mais en choisissant de le raconter par les gestes ordinaires et les émotions simples.

Le fil du temps

« Quand on se souviendra de moi, je voudrais aussi qu’on se souvienne de la chance immense que j’ai eue de vivre à une époque comme la nôtre, une époque de paix, de progrès et de possibilités infinies. Vivre aussi longtemps sans connaître la guerre, avoir la liberté de choisir son chemin et de réaliser ses désirs, c’est un privilège rare que beaucoup de gens à travers l’histoire n’ont pas connu. Cette chance, je ne la prends pas pour acquise. Et je crois qu’il est essentiel de réaliser ce en quoi l’on croit, de poursuivre ce qui nous anime. C’est ce que j’ai toujours essayé de faire, aidée par mes parents. Maintenant, c’est à mon tour de transmettre ce même soutien, d’aider les autres comme j’ai été aidée.

Cette gratitude immense pour la vie que j’ai eue, pour les choix que j’ai pu faire et pour ceux qui m’ont soutenue, je la porte en moi chaque jour. Et c’est sans doute ce qui me pousse à accorder tant d’importance aux souvenirs : ils sont les témoins silencieux du chemin parcouru.

Ainsi, chaque année, lorsque décembre approche, je remplis l’agenda de l’année qui vient de dates importantes. Je m’installe et j’écris. Ce n’est pas un simple emploi du temps que je trace : c’est le fil de ma mémoire que je tisse, une année après l’autre.

Je note les anniversaires, les voyages, les dates que je ne veux pas laisser s’effacer. Je ne les écris pas toutes — il y en aurait tant — mais celles qui, en moi, continuent de vivre. Ce ne sont pas toujours les mêmes chaque année. A l’heure où j’écris ces lignes, si je feuillette les pages, je peux lire qu’il y a cinq ans, j’étais au Bhoutan, onze en Ouzbékistan, un an au Maroc. Treize ans se sont écoulés depuis le divorce d’Alex. Marcel fêtera bientôt ses 98 ans, le 6 juin. J’y retrouve aussi des souvenirs plus insolites : le prix de l’or en 2024, les cinq ans de pandémie… Chaque annotation est une balise plantée dans le temps.

Certains s’étonnent : « Tu fais cela parce que tu as peur d’oublier ? » Non. Ce n’est pas la peur qui me guide, mais le plaisir de revivre ces moments forts. Je suis comme ma marraine autrefois, qui, sur son calendrier de cuisine, écrivait Marta, 18 septembre, pour se réjouir d’avance de ma venue. Voir les choses inscrites, palpables, ancrées dans le papier, leur donne une autre présence.

Ainsi va mon agenda : compagnon discret, gardien fidèle. Quand je l’ouvre, ce ne sont pas de simples dates que je parcours, mais toute une vie qui palpite à travers les pages. Un frigo changé, une maison transmise, une mère disparue depuis bientôt vingt-sept ans. Des éclats d’existence soigneusement consignés, pour que le temps passé ne se dissipe jamais tout à fait.

Écrire ces souvenirs, c’est cultiver en silence le jardin de ma vie. Chaque mot déposé est un geste d’amour envers les jours écoulés. C’est ainsi que je choisis d’habiter le temps : en l’inscrivant, en l’aimant ».

Ici, la narratrice raconte sa façon émouvante de garder la trace du temps qui passe : en consignant chaque année les dates importantes dans un agenda.

Fragments d’une vie en mouvement

« Toute vie est une histoire, que l’on espère la meilleure possible. La mienne, que je souhaite vous transmettre, parlera de pays, de déplacements, de rencontres, de naissances. Comme elle est étroitement liée à des endroits du monde, les chapitres seront des pays ou des villes.

Je vous préviens, ma mémoire, comme toutes les mémoires, est une mosaïque. Des fragments d’images, des sensations, des éclats de voix résonnent encore dans ma tête, mais refusent parfois de se rejoindre. Ce que je me rappelle n’est donc pas une chronologie lisse, mais plutôt une collection de moments, parfois flous, parfois d’une clarté surprenante. Chaque souvenir que j’ai retenu semble important, même si je ne sais plus toujours pourquoi. Cette histoire que je m’apprête à vous raconter, c’est celle que j’ai pu reconstruire, avec des pièces éparses, des ombres de ce qui a été, et des instants qui, eux, ne s’effaceront jamais. Je vous livre aujourd’hui ce témoignage forcément incomplet mais qui représente le voyage de ma vie ».

Cet extrait ouvre le récit d’une femme dont la vie a été marquée par les voyages, les rencontres et les déplacements.